Secret médical et protection des données : retour vers le futur

Secret médical et protection des données : retour vers le futur

L’UNSA Fonction Publique agit pour défendre le secret médical et la protection des données des agents publics. Le conseil constitutionnel lui a donné raison.

L’UNSA Fonction Publique a, le 25 ­jan­vier 2021, intro­duit deux recours, un recours pour excès de pou­voir (REP) devant le conseil d’Etat et une ques­tion prio­ri­taire de cons­ti­tu­tion­na­lité (QPC), contre l’arti­cle 7 de l’ordon­nance du 25 ­no­vem­bre 2020 dite «Santé et Famille». En effet, l’UNSA a estimé que cet arti­cle por­tait atteinte au secret médi­cal dans la fonc­tion publi­que. C’est le cir­cuit et le contenu des déci­sions ren­dues suite à ces recours que cet arti­cle va tenter d’éclairer.

Des recours en dernier recours

L’UNSA fonc­tion publi­que n’est pas par nature pro­cé­du­rière. Le dia­lo­gue social et le com­pro­mis sont ins­crits dans son ADN. C’est pour cette raison que, tout au long de la dis­cus­sion des textes, l’UNSA a bataillé pour se faire enten­dre pour la pré­ser­va­tion du secret médi­cal dans l’ins­truc­tion des dos­siers d’acci­dents du tra­vail et de mala­dies pro­fes­sion­nel­les.

En groupe de tra­vail, puis au sein des ins­tan­ces, l’UNSA a alerté sur la portée d’un arti­cle dont l’unique objet était de pré­ser­ver de conten­tieux ulté­rieurs les admi­nis­tra­tions qui trai­tent les deman­des de pla­ce­ment en congés d’inva­li­dité tem­po­raire impu­ta­ble au ser­vice (CITIS) des agents publics. Les agents doi­vent béné­fi­cier de la pré­somp­tion d’impu­ta­bi­lité au ser­vice des acci­dents du tra­vail et des mala­dies pro­fes­sion­nel­les lors­que les condi­tions sont réu­nies. Devant la sur­dité de la DGAFP et du gou­ver­ne­ment, l’UNSA s’est, par prin­cipe, pro­non­cée contre cette ordon­nance lors de son vote au conseil commun de la fonc­tion publi­que (CCFP) pour signi­fier que ce point, qu’elle jugeait inac­cep­ta­ble, contre­ve­nait au droit au res­pect de la vie privée et pou­vait ulté­rieu­re­ment être une source de déri­ves voire de dis­cri­mi­na­tions à l’encontre des agents.

Des recours suivis d’effets

Le recours pour excès de pou­voir (REP) devant le conseil d’Etat a d’abord visé à faire reconnaî­tre comme une «ques­tion sérieuse» la déro­ga­tion au prin­cipe du secret médi­cal ins­ti­tuée par l’arti­cle 7 de l’ordon­nance.
Cette qua­li­fi­ca­tion est un sésame indis­pen­sa­ble : sans «carac­tère nou­veau et sérieux» la ques­tion posée par l’UNSA fonc­tion publi­que n’aurait pas pu être trans­mise au Conseil cons­ti­tu­tion­nel. Le gou­ver­ne­ment a donc dû jus­ti­fier la vio­la­tion du secret médi­cal ins­ti­tuée par l’ordon­nance (qui vaut force de loi) en vue de pro­té­ger les admi­nis­tra­tions des ris­ques de conten­tieux.

S’il est pos­si­ble de déro­ger au prin­cipe du secret médi­cal visé à l’arti­cle L. 110-4 du code de la santé publi­que, les déro­ga­tions doi­vent être stric­te­ment limi­tées à des fina­li­tés de pro­tec­tion des per­son­nes ou des popu­la­tions, comme par exem­ple, l’obli­ga­tion de signa­le­ment de mala­dies conta­gieu­ses, l’admis­sion en soins psy­chia­tri­ques ou la pro­tec­tion des mineurs en danger. En l’espèce, la pro­tec­tion d’un risque de conten­tieux ne pou­vait qu’entrer dif­fi­ci­le­ment dans ce cadre. Pour l’UNSA, cet état de fait aurait dû donner lieu à une révi­sion de la pro­cé­dure d’ins­truc­tion (ins­truc­tions don­nées au méde­cin agréé, garan­tie de l’ache­mi­ne­ment des don­nées, récep­tion des don­nées et conser­va­tion par un méde­cin des rap­ports médi­caux ou toute autre mesure per­met­tant de mettre un terme à ces vio­la­tions).

La partie adverse consi­dé­rait que, pour moti­ver un refus de pla­ce­ment en CITIS (donc d’appli­ca­tion de la pré­somp­tion d’impu­ta­bi­lité), elle pou­vait libre­ment, à sa simple demande et sans aucun contrôle, faire com­mu­ni­quer les pièces du dos­sier médi­cal des agents aux ser­vi­ces admi­nis­tra­tifs placés auprès de «l’auto­rité à laquelle appar­tient le pou­voir de déci­sion». Ce point de vue se heurte au fait que les agents des ser­vi­ces RH n’ont pas à porter d’appré­cia­tion sur le contenu des don­nées médi­ca­les.

Ce sont les avis médi­caux for­mu­lés par les méde­cins au vu des ren­sei­gne­ments médi­caux et pièces médi­ca­les qui doi­vent per­met­tre aux agents admi­nis­tra­tifs, en charge de l’ins­truc­tion de la demande de reconnais­sance d’impu­ta­bi­lité au ser­vice de l’acci­dent du tra­vail ou de la mala­die pro­fes­sion­nelle, de pré­pa­rer la déci­sion de l’auto­rité admi­nis­tra­tive. L’État peut tout à fait moti­ver sa déci­sion en s’appuyant sur le sens des seules conclu­sions du méde­cin agréé ou sur l’avis des ins­tan­ces médi­ca­les.

Le Conseil d’État, dans une déci­sion du 6 a­vril 2021, a lui aussi estimé que la confor­mité de l’arti­cle 7, de l’ordon­nance n°2020-1447 du 25 ­no­vem­bre 2020, avec le droit cons­ti­tu­tion­nel au res­pect de la vie privée pré­sen­tait un carac­tère sérieux et a donc trans­mis la QPC au conseil cons­ti­tu­tion­nel.

Le Conseil cons­ti­tu­tion­nel saisit par le Conseil d’État de la QPC de l’UNSA fonc­tion publi­que devait donc se pro­non­cer au fond : l’arti­cle 7 contre­ve­nait-il à la liberté pro­cla­mée par l’arti­cle 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui impli­que le droit au res­pect de la vie privée? Le 11 ­juin 2021, le Conseil cons­ti­tu­tion­nel a rendu sa déci­sion en repre­nant les argu­ments de l’UNSA :

  • le droit à communication tel qu’il figure dans l’article 7 «est susceptible d’être exercé par les «services administratifs» placés auprès de l’autorité à laquelle appartient le pouvoir d’accorder le bénéfice du congé. Ainsi, en fonction de l’organisation propre aux administrations, ces renseignements médicaux sont susceptibles d’être communiqués à un très grand nombre d’agents, dont la désignation n’est subordonnée à aucune habilitation spécifique et dont les demandes de communication ne sont soumises à aucun contrôle particulier.»
  • les dispositions de l’article 7 «permettent que ces renseignements soient obtenus auprès de toute personne ou organisme».
    En conséquence, le conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la constitution. Cette inconstitutionnalité a pris effet à la date de publication de la décision.
Retour à un dialogue social «soutenu»

Prenant acte de cette déci­sion, le Ministère de la Transformation et de la Fonction publi­ques, dans un com­mu­ni­qué de presse, a rap­pelé son atta­che­ment au res­pect de la vie privée de chacun et notam­ment du res­pect du secret médi­cal et déclaré enta­mer les tra­vaux pour tirer les consé­quen­ces de cette déci­sion dans le cadre d’un dia­lo­gue social sou­tenu.

Dans un contexte de trans­for­ma­tion rapide des règles régis­sant la fonc­tion publi­que et de déve­lop­pe­ment du numé­ri­que, l’UNSA Fonction Publique est par­ti­cu­liè­re­ment atten­tive à la pro­tec­tion de la vie privée et des don­nées per­son­nel­les des agents qu’elle repré­sente et défend. Elle demeu­rera vigi­lante sur les mesu­res à mettre en place pour pré­ser­ver et ren­for­cer la pro­tec­tion de leurs don­nées médi­ca­les.

Agnès LAMBERT

Related Posts

Protection fonctionnelle des agents publics : un guide utile

Protection fonctionnelle des agents publics : un guide utile

Police Municipale : régime indemnitaire, les négociations finalisées

Police Municipale : régime indemnitaire, les négociations finalisées

Revalorisation des retraites complémentaires pour les fonctionnaires

Revalorisation des retraites complémentaires pour les fonctionnaires

Urgence salariale dans la Fonction Publique : mobilisation le 19 mars

Urgence salariale dans la Fonction Publique : mobilisation le 19 mars

Bulletin d’adhésion

Le syndicat UNSA des territoriaux de Côte d’Or défend, informe et accompagne les agents territoriaux de l’ensemble des collectivités territoriales et établissements publics affiliés au Centre de Gestion de la Côte d’Or.